Premier article d’une nouvelle série sur les défis auxquels sont confrontés les ostréiculteurs du Nouveau-Brunswick
Dans de nombreuses familles des Maritimes, l’écaillage et la dégustation de sa première huître crue est un véritable rituel de passage. Et ces mollusques salés, qui emploient près de 500 personnes dans toute la province, sont aussi vitaux au mode de vie de nombreuses petites collectivités côtières du Nouveau-Brunswick.
Mais les temps, et les océans, changent. Dans le cadre d’un nouveau programme de recherche mené dans le Nord du Nouveau-Brunswick, une équipe étudie ce que ces changements signifient pour cette chère huître de l’Est.
Élise Mayrand, biologiste au campus de Shippagan de l’Université de Moncton, fait partie d’une équipe chargée d’examiner la façon dont la production excessive de pollution par le carbone (CO2) est en train de modifier la chimie des eaux de la côte Est ainsi que l’influence de ces changements sur les huîtres de cette région.
Martin Mallet, co-propriétaire et gestionnaire de l’Etang Ruisseau Bar Ltd., et des scientifiques du ministère des Pêches et Océans du Canada font partie des partenaires de ce projet.
Qu’est-ce que l’acidification des océans?
L’acidification des océans est l’une des conséquences de la production de CO2 excessive issue de l’activité humaine, notamment la pollution par le carbone que nous émettons lorsque nous brûlons des combustibles fossiles, comme le charbon, le pétrole et le gaz.
Une partie du CO2 que nous créons est absorbée par les océans, où elle réagit au contact de l’eau pour former un acide instable : l’acide carbonique. Or, un niveau excessif d’acide carbonique dans l’eau provoque deux choses : l’eau devient plus acide, et sa chimie carbonique se déséquilibre.
Cela signifie que le carbonate de calcium, qui est une importante composante de la carapace, de la coquille et du squelette de nombreux organismes marins, se fait de plus en plus rare dans nos océans. Selon les scientifiques, l’acidification croissante des océans aura un effet radical sur la capacité de croissance et de développement de certaines espèces issues de la calcification, soit, notamment les huîtres, les moules, les homards, les oursins de mer et certaines espèces de plancton.
L’acidification des océans provoquera aussi un stress physiologique pour les organismes qui ont besoin de plus d’énergie pour faire face aux changements qui se produisent dans leur environnement. Certains scientifiques relèvent que, depuis le début de la révolution industrielle, l’acidité des océans a augmenté de 30 %.
Bien que des scientifiques contrôlent le niveau d’acidification de la côte Ouest du Canada depuis de nombreuses années, peu d’études ont été menées dans les eaux côtières du Canada atlantique. S’ajoutant au manque de données concernant la côte Est, certains facteurs locaux, comme les apports d’eau douce, l’eutrophisation (le phénomène qui consiste à « charger » les eaux en éléments nutritifs et qui entraîne une diminution du niveau d’oxygène dans l’eau) et les effluents issus des activités industrielles, risquent d’amplifier et d’accélérer l’acidification de l’océan dans certaines régions.
Qu’est-ce que cela signifie pour les huîtres de l’Est?
L’ostréiculture est une importante industrie pour de nombreuses collectivités côtières du Nouveau-Brunswick. Comme nous l’avons indiqué plus haut, près de 500 personnes sont directement employées par cette industrie, qui a vendu 23 millions d’huîtres à une valeur à la ferme de 9,1 millions de dollars en 2016.
Annoncée en 2017, la nouvelle stratégie de développement de la conchyliculture de la province a pour objectif de faire croître cette industrie de 10 % par année pour atteindre 30 millions d’huîtres vendues, une contribution économique de 12 millions de dollars de ventes à la ferme et un total de 6,4 millions de dollars en exportations d’ici à 2021.
Contrairement à d’autres formes d’aquaculture pratiquées dans les eaux du Nouveau-Brunswick (comme l’élevage du saumon), l’ostréiculture a des répercussions négatives faibles sur l’environnement. En fait, les huîtres sont des organismes filtreurs qui se nourrissent de phytoplancton, de zooplancton et de matière organique; elles dépendent d’un milieu marin sain et contribuent à la santé de ce milieu.
Il est vital de savoir dans quelle mesure l’huître de l’Est est vulnérable à l’acidification de l’océan pour s’assurer que ce mollusque demeure un élément important de l’économie de nos collectivités côtières et d’un écosystème marin sain.
C’est là qu’Élise Mayrand et son équipe de chercheurs entrent en jeu. Ce groupe a dressé le profil du niveau d’acidité de trois baies du Nord du Nouveau-Brunswick (la baie de Saint Simon, la baie de Caraquet et la baie de Tracadie) et a découvert qu’à ce jour, le niveau d’acidité se situe généralement dans la fourchette qu’une huître de l’Est peut tolérer.
Ils ont, cependant, découvert des périodes durant lesquelles l’acidification a atteint des niveaux problématiques. Selon des expériences réalisées dans des conditions contrôlées, les larves et les jeunes huîtres exposées à de tels niveaux d’acidité ont besoin de plus d’énergie pour faire face à ce stress. Cela signifie que les jeunes huîtres sont alors plus vulnérables au réchauffement et à l’acidification de l’océan ou à l’éclosion de maladies.
Cette situation est inquiétante pour les chercheurs, car les scientifiques s’attendent à des périodes d’acidification plus longues dans les eaux de l’Est, du fait que les émissions liées à la pollution par le carbone issue de l’activité humaine continuent d’augmenter et de réchauffer les océans. Cette augmentation de l’acidification de l’océan, ainsi que d’autres « changements durables et sans précédent » à l’océan et aux portions gelées de la planète, ont été documentés dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, paru en septembre 2019.
Une occasion unique de se joindre à la lutte contre l’acidification de l’océan
Mme Mayrand présentera les conclusions de son équipe à Shippagan en novembre. Une conférence à l’intention du public aura lieu les 13 et 14 novembre; un forum réunira des intervenants des secteurs de l’aquaculture et des pêches, des ministères fédéraux et provinciaux pertinents et de groupes environnementaux pour discuter des enjeux liés à l’acidification des océans tout en explorant des mesures d’adaptation et des solutions pour limiter la montée de l’acidité de l’océan.
À cette occasion, les jeunes auront une possibilité unique de participer au dialogue et de faire connaître leurs inquiétudes et leurs solutions pour ralentir le changement climatique et l’acidification des océans.
Pour plus d’information sur le forum, veuillez communiquer avec Lisa Fauteux, directrice exécutive du groupe environnemental Verts Rivages, au (506)-888-5271.