Sécurité énergétique, approvisionnement local en gaz et transition énergétique : Soyons réalistes!
Commentaire du Dr. Louise Comeau
Commentaire du Dr. Louise Comeau
Le premier ministre Blaine Higgs presse actuellement une entreprise privée, Repsol, de convertir son terminal d’importation de GNL (gaz naturel liquéfié) de Saint John en un terminal d’exportation à des fins de sécurité énergétique, de développement économique et de transition énergétique.
On nous dit qu’en expédiant du méthane liquéfié en Europe, nous pourrons remédier aux problèmes de sécurité énergétique liés à l’invasion russe en Ukraine.
Selon M. Higgs, nous pourrions convertir l’usine d’importation de Saint John en usine d’exportation en trois ans. M. Higgs affirme qu’un développement économique est possible si nous levons le moratoire sur le gaz de schiste de la province pour accélérer le processus et rendre la conversion plus rentable par rapport aux autres options d’approvisionnement en méthane et aux oléoducs.
Et le premier ministre prétend que le Nouveau-Brunswick peut favoriser la transition énergétique, car le terminal de GNL pourrait « facilement être converti » en usine d’hydrogène.
Est-ce que ces arguments sont réalistes? À vous de décider.
La conversion d’un terminal d’importation en terminal d’exportation ne peut pas se faire suffisamment rapidement pour répondre aux besoins en chauffage hivernal à moyen terme de l’Europe. Même en étant optimiste, il faudrait entre trois et cinq ans pour mener à bien un tel projet.
Pour convertir la centrale à des fins d’exportation, il faut accroître l’accès à l’approvisionnement en gaz, qui pourrait se faire par la création d’une capacité d’oléoduc supplémentaire ou d’un approvisionnement en gaz de schiste au Nouveau-Brunswick.
Le premier ministre Higgs s’est exprimé publiquement concernant la levée du moratoire de fracturation hydraulique instauré en 2014 afin d’approvisionner le terminal. Or, selon les experts, il faut plus de cinq ans pour prouver qu’il y a suffisamment de gaz pour justifier un investissement dans le gaz naturel liquéfié.
L’extraction du gaz de schiste pose des risques pour l’approvisionnement en eau douce du Nouveau-Brunswick et la santé humaine, et n’est pas alignée sur les cibles climatiques provinciales et fédérales.
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de l’extraction, du transport, de la liquéfaction et de la regazéification sont comparables à celles émises lors de la combustion du charbon si les fuites de méthane sont élevées, ce qui signifie que les avantages climatiques sont faibles.
Certaines entreprises allèguent qu’à l’avenir, il sera possible de respecter les normes liées aux émissions de GES grâce aux technologies de captage et d’entreposage du carbone. Or, ces technologies captent uniquement une fraction des émissions totales du cycle de vie issues de l’extraction, du transport et de l’usage du méthane. De plus, elles coûtent cher, consomment beaucoup d’énergie et, à ce jour, ont produit des résultats médiocres.
La fracturation peut contaminer les eaux de surface. Dans certaines régions d’Amérique du Nord caractérisées par un développement du gaz de schiste substantiel, des chercheurs ont constaté des niveaux élevés d’ammonium, de benzène, de baryum, de strontium, de chlorure, d’halogénures, de bromure et de radium dans les rivières en aval des installations concernées.
La fracturation nécessite beaucoup d’eau. L’approvisionnement en eau potable peut s’épuiser si de grands volumes d’eau de surface et d’eau souterraine sont rapidement extraits.
Selon des estimations antérieures concernant les activités liées au gaz de schiste, entre quatre et 12,4 millions de litres d’eaux usées pourraient être générées durant les quatre premières années. Bien que les eaux usées issues de la fracturation contiennent des substances chimiques toxiques et cancérogènes, les entreprises n’ont pas produit de plan viable pour traiter ce problème au N.-B.
Essentiellement, l’une des principales conditions du développement du gaz de schiste consiste en des consultations précoces et pertinentes avec les Premières Nations, un domaine dans lequel le chef de la Première Nation Natoaganeg, George Ginnish, estime que le gouvernement « n’est pas à la hauteur ».
L’Allemagne revendique haut et fort l’accès au méthane canadien. Or, ce pays a indéfiniment interdit la fracturation et confirmé cette prise de position à la lumière de la crise énergétique. Pourquoi les risques de la fracturation ne sont-ils pas acceptables pour les citoyens allemands, mais le sont pour les Néo-Brunswickois dans le cadre de la conversion du terminal de GNL?
La conversion d’un terminal d’importation en terminal d’exportation nécessite un refonte importante et s’accompagne de dangers supplémentaires, dont des risques accrus d’incendie et d’explosion, ainsi que d’une plus grande complexité, d’une taille supérieure de l’usine et d’un usage plus important de substances chimiques réactives sous haute pression.
La liquéfaction du méthane nécessite énormément d’énergie : on estime qu’elle équivaut à près de 10 % de la liquéfaction du gaz.
Le premier ministre Higgs prétend que le terminal d’exportation de GNL peut être « facilement » converti en usine d’hydrogène.
Cet aspect est contesté par des experts qui relèvent que l’hydrogène gazéifié risque d’endommager l’infrastructure existante des oléoducs; l’hydrogène doit être refroidi à une température de –250C pour conserver un état liquide adapté à l’entreposage et à l’expédition, contrairement au méthane, qui requiert une température de -160C; finalement, la conversion en hydrogène nécessite de nouveaux moyens de transport, de nouveaux systèmes d’entreposage et, potentiellement, de nouveaux oléoducs.
Le Nouveau-Brunswick doit se concentrer sur la sécurité énergétique locale.
Il faudra au moins cinq ans pour créer une ressource capable de répondre aux besoins de l’Europe cet hiver.
Nous devons laisser le gaz de schiste sous terre, conserver le moratoire et produire de l’énergie renouvelable, surtout grâce aux vents du large et aux vents de terre, afin d’approvisionner les systèmes électriques régionaux et de répondre aux besoins industriels et liés à l’exportation.
Monsieur le premier ministre, soyez honnête avec les Néo-Brunswickois concernant les coûts, les délais ainsi que les risques environnementaux et sanitaires associés à la conversion de l’usine de GNL de Repsol à Saint John.
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